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Rencontre avec Mark Eacersall, scénariste de Kleos !

27/12
Rencontre avec Mark Eacersall, scénariste de Kleos !
Mark Eacersall signe, avec Serge Latapy et Amélie Causse, une étonnante épopée qui embarque le lecteur aux côtés d’ un jeune homme en quête de gloire. Un puissant récit initiatique qui bat en brèche les clichés sur la Grèce antique et rend hommage aux conteurs
 
Comment est née l’histoire de Kleos ?
En deux temps. Au début des années 2000, en même temps que j’écrivais le scénario de Tananarive, j’ai écrit Kleos, avec mon ami Serge Latapy, qui avant d’être journaliste avait suivi des études d’histoire ancienne et restait passionné par la Grèce antique. Dernièrement, en rangeant des affaires chez mon père, je suis d’ailleurs tombé sur un vieux livre qui m’avait marqué enfant pour sa couverture : une photo de littoral grec. Or j’avais envie d’une histoire emplie de cette lumière méditerranéenne, je voulais écrire une histoire de pêcheurs plutôt esthétique, avec beaucoup de silence. Le scénario de Kleos, ressorti du placard quand j’ai commencé à faire de la BD, est finalement une histoire foisonnante avec peu de silence ! Serge et moi nous sommes laissé emporter, exactement comme lorsque que j’ai écrit Tananarive qui, d’une enquête au départ, est devenue une sorte d’épopée.
 
D'ailleurs, comme Tananarive, Kleos est un récit initiatique...
Oui, c’est fou, je m’en suis aperçu récemment, ça doit relever de la névrose ! Ce sont deux récits initiatiques avec deux personnages principaux tous deux abreuvés d’histoires des autres, qui veulent aller au bout de leurs rêves.
 
Comment avez-vous réussi à rendre moderne l’histoire de ce jeune homme qui se rêve en Achille ?
Le jeune Philoklès connaît par cœur les épopées, fondement de la culture en Grèce à l’époque. Comme Philoklès, nous baignons tous aujourd’hui dans les fictions. Lui va tout mettre en œuvre pour devenir l’un des héros qu’il admire. À la manière d’un Don Quichotte, il veut sa part de gloire, entrer dans l’histoire. D’ailleurs Kleos en grec signifie « gloire, renommée ». En outre, Serge et moi ne voulions pas raconter l’histoire d’un justicier invincible, mais celle d’un jeune homme qui se rend compte que c’est dur de devenir un héros. Et puis, nous avons privilégié un langage assez direct, mais laissant la place aux non-dits, en faisant confiance à l’imaginaire du lecteur et à son intelligence. La dessinatrice Amélie Causse est formidable, car elle sait transmettre une immense palette d’émotions en quelques traits.
 
Le récit débute en 499 ans avant J.-C. Qu’est-ce qui vous intéresse dans cette époque ?
C’est une Grèce rude, moins connue que la Grèce classique qu’on fait débuter traditionnellement en - 490, avec Marathon et les guerres médiques. C’est une époque très instable : les cités grecques hésitent entre oligarchie, tyrannie ou démocratie, l’Empire perse progresse et règne sur une bonne partie du monde égéen – et certaines cités grecques se révoltent... Ce désordre nous permet quelques libertés, mais toujours en respectant l’état des connaissances historiques. Tous ces traits, politiques, géopolitiques, culturels, etc., se retrouvent dans ce récit. Il permet donc un voyage mental dans la Grèce de l’époque, mais loin de ce que j’appelle les « BD de CDI », des ouvrages selon moi à l’opposé de la fiction.
 
Kleos est aussi très réaliste : vous n’omettez pas les viols, les meurtres et l’esclavagisme…
Votre question me permet de préciser que Kleos n’est pas une BD jeunesse ! On aborde les luttes de classe, la sexualité, la liberté et les carcans mentaux. Offrez la BD à vos ados, mais pas à vos enfants de 6 ans ! Les viols et les meurtres sont pudiquement montrés, mais ils sont présents. Avec Serge, nous n’avons pas voulu glorifier la musculature et l’héroïsme, mais s’essayer à une histoire plutôt picaresque, démonter les clichés pour mieux esquisser la société de l’époque. Par exemple, on se figure souvent les Grecs en navigateurs émérites alors qu’ils pratiquaient essentiellement le cabotage. Fils de pêcheur, Philoklès se perd en mer, car il ne sait d’ailleurs pas reconnaître les étoiles !
 
C’est aussi une mise en abyme de l’Odyssée. Qu’avez-vous voulu suggérer ?
Imaginez un personnage qui aime tellement Indiana Jones, qu’il rêve de devenir aventurier. Il se rend alors compte que devenir aventurier est moins facile qu’il n’y paraît et que ce qu’il aime est moins l’aventure que ce qu’en a fait Spielberg. À cet égard, Philoklès va découvrir qu’il est peut-être plus un Homère qu’un Achille. Vous pouvez ensuite y voir un fantasme biographique… mais l’intérêt reste ailleurs : Kleos parle de l’importance des histoires. On construit des civilisations autour des récits. Et on aura toujours besoin de conteurs.
 
Le style graphique très doux d’Amélie Causse dénote avec le sujet. Ce contrepied vous a-t-il séduit ? J’aime le rock’n’roll. À cet égard, la technique m’intéresse moins que tout ce qui a de la personnalité ! Mais Amélie possède les deux. Son dessin est séduisant et qualitatif. Or, c’est le dessin qui séduit avant tout le lecteur de BD, avant le scénario. Ensuite, évidemment, le scénario doit être prenant, jamais redondant et avec plusieurs niveaux de lecture. Le dessinateur est, lui aussi, un narrateur et Amélie sait faire tout cela. On est très chanceux d’avoir pu collaborer avec elle.
 
Avez-vous d’autres projets ensemble ?
J’espère tout simplement continuer à travailler avec Amélie jusqu’à ce que mort s’ensuive… Elle a du bol, j’ai trente ans de plus qu’elle ! Nous avons déjà prévu un roman graphique qui se déroule dans le milieu du vin, avec une grosse pagination.
 
Vous êtes très prolifique ?
Je vis ma meilleure vie créative ! Personne ne remarque le scénariste sur la couverture d’une BD donc je n’ai pas l’impression de saturer le marché, cela me convient très bien. Après une première vie dans l’audiovisuel, la BD est une révélation. Quelle liberté créative ! C’est sans doute pour cela d’ailleurs que l’audiovisuel cherche désormais à adapter de la bande dessinée…

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